Pourquoi et comment conduire des essais cliniques en parallèle du démarrage de la campagne de vaccination
Les ravages mondiaux de la pandémie et l’intensité de l’effort de recherche amènent à une situation inédite où tout se bouscule. Les chercheurs doivent conjuguer enjeux de santé publique, solidité scientifique et rigueur de l’approche éthique, sans céder sur aucune de ces dimensions. Décryptage avec Odile Launay, membre spécialisé dans les études cliniques de vaccins, des questions pratiques et des orientations qui se dessinent.
Pourquoi faire des essais quand 2 vaccins au moins ont des résultats d’efficacité probants et ont déposé des demandes d’autorisation ?
Nous aurons besoin de plusieurs vaccins au-delà de ceux qui ont annoncé des premiers résultats prometteurs. Et il ne s’agit pas que d’une question de capacité industrielle de production, même si c’est bien sûr un enjeu pour couvrir les besoins de tous les pays.
Les contraintes logistiques (température de conservation, conditionnement unidose permettant une plus grande souplesse lors de la vaccination versus multidose), le prix des vaccins, leur facilité d’administration (une injection versus deux notamment) sont des facteurs essentiels pour une large couverture vaccinale.
Par ailleurs, même pour les vaccins qui pourraient être autorisés rapidement, il y a encore de nombreux sujets d’étude à conduire. A titre d’exemple, comme annoncé lors du lancement de Covireivac, nous souhaitons faire des études fines sur l’évolution de la réponse immunitaire sur les personnes les plus âgées. Nous sommes en discussion avec des industriels qui pourraient avoir une autorisation rapide pour lancer cela en début d’année prochaine. Certaines technologies vaccinales pourraient de plus être plus adaptées que d’autres sur certains segments de la population.
« avoir plusieurs vaccins est un enjeu de santé publique et même pour les vaccins qui pourraient être autorisés rapidement, il y a de nombreux sujets d’étude encore à conduire »
Les premières vaccinations pourraient intervenir début janvier : comment cela pourrait-il impacter la conduite des essais ?
A partir du moment où un vaccin sera disponible, les volontaires pourront légitimement se demander s’ils souhaitent toujours participer à un essai dans lequel une partie d’entre eux recevrait un placebo. La question se posera avec plus d’acuité encore pour les personnes à risque de développer une forme grave, qui seront prioritaires les premiers mois de la campagne de vaccination. Pour des raisons éthiques évidentes, a minima sur les personnes à risque, on s’orientera probablement d’ici quelques mois vers des protocoles modifiés vaccin contre vaccin, comparant la réponse du vaccin B en test à celle du vaccin A autorisé.
Toute la question est de savoir comment nous allons gérer cela dans les 3 ou 4 prochains mois, étant rappelé d’une part que la disponibilité du vaccin sera progressive (les personnes sans facteur de risque ne seront probablement pas éligibles à la vaccination avant plusieurs mois) et d’autre part qu’on peut sortir à tout moment d’un essai.
Des réflexions ont été amorcées, en lien avec l’ANSM :
- limiter l’inclusion, à partir du moment où un vaccin est autorisé, aux personnes moins prioritaires dans la vaccination
- proposer aux personnes ayant reçu le placebo dans un essais d’être vaccinées à leur tour, si cet essai montre des preuves robustes d’efficacité
- faire évoluer les protocoles, en cours d’essai, pour s’adapter à la situation et à l’évolution de la connaissance, tout en garantissant une rigueur scientifique
« Ce qui nous guide, c’est le devoir de conjuguer protection des personnes et rigueur scientifique, en toute transparence avec les volontaires »
Tous les volontaires participeront-ils à un essai ?
Toutes les bonnes volontés sont précieuses et il y aura, dans la durée, de multiples formes de participation à la recherche possibles.
Nous savons déjà qu’il y aura des besoins de recherche nombreux dans les deux années à venir au-delà de ceux que j’ai déjà cité sur les personnes les plus âgées : sur les éventuels besoins de rappels par exemple, sur des populations particulières souffrant de certaines pathologies, sur les femmes enceintes, sur des recherches en sciences humaines aussi.
Nous sommes dans un mix de sprints et de course de fond et avons besoin de l’engagement durable des volontaires. L’ampleur de la mobilisation à nos côtés dont témoigne le nombre des inscrits et la rapidité de leur réponse est un soutien extraordinaire.