La formulation des vaccins et les variants
Suite de la table ronde du séminaire Covireivac réunissant début mars, Xavier de Lamballerie (INSERM U1207), Eric Tartour (HEGP), Jean-Daniel Lelievre (INSERM U955), Marie Paul Kieny (INSERM), Cécile Janssen (CRC, Annecy).
Aujourd’hui, tous les vaccins autorisés sont basés sur la souche originale (Wuhan) du SARS-CoV-2, et s’ils ont démontré une bonne protection contre les formes graves de la maladie, leur efficacité contre l’infection dans un paysage dominé par les variants, et notamment Omicron, est moindre.
Eric Tartour explique que si pour d’autres infections, comme la grippe, l’idée d’un vaccin universel, efficace contre toutes les souches virales, est depuis longtemps sur la table avec de nombreuses modélisations bio-informatiques et études précliniques, elles ne sont pour le moment pas concluantes chez l’humain. Les stratégies possibles pour le COVID consistent donc actuellement plutôt soit à faire des vaccins basés sur plusieurs souches, soit à adapter les vaccins aux souches en circulation, soit à faire des rappels avec les vaccins originaux.
Vaccins multivalents ?
Certaines réflexions portent sur un vaccin bivalent ou multivalent, c’est-à-dire qui cible plusieurs variants à la fois mais cela présente plusieurs limitations.
Le prix d’une part car le vaccin serait deux fois, trois fois, quatre fois, plus cher. La tolérance d’autre part car la plateforme vaccinale elle-même ne peut pas supporter une quantité infinie de particules immunisantes. Par exemple, le vaccin de Moderna ne peut contenir que 100 microgrammes, divisible par le nombre de souches à inclure. « Mais est ce que 50/50 entre la souche Wuhan et celle d’Omicron est plus efficace que 100% de Wuhan ? Ca n’a pas encore été démontré, et ce n’est pas du tout évident que ce le soit » explique Marie-Paule Kieny.
Un nouveau vaccin pour chaque nouveau variant ?
Les vaccins ARNm ont l’avantage d’être modulable rapidement, mais faut-il réellement modifier les vaccins actuellement disponibles ? « Il y a pas mal de discussions là-dessus. Mais il y a je crois un consensus sur le fait qu’il doit y avoir un peu d’ordre » précise Marie-Paule Kieny.
Si on prend exemple sur la grippe, dont la souche prédominante change chaque année, Un réseau mondial de l’OMS d’environ 150 laboratoires dans 125 pays, appelé Global Influenza Surveillance and Response System, partage continuellement des données et des échantillons cliniques pour tenter d’identifier la souche virale le plus susceptible de provoquer une épidémie l’année suivante. Sur cette base, l’OMS recommande 6 mois à l’avance la composition d’un unique vaccin pour l’année qui arrive. Tout le monde s’aligne avec les recommandations de l’OMS, il n’y a pas plusieurs vaccins par saison.
Une injection de rappel avec les vaccins actuels ou d’autres vaccins ?
Xavier de Lamballerie, directeur de l’unité mixte de recherche des virus émergents à Marseille explique qu’avec des quantités vaccinales différentes il est possible d’obtenir des réponses plus ou moins intenses : « Quand on immunise beaucoup, qu’on est très immunogène, on écrase la différence entre les souches et on retrouve une réponse immunitaire qui est à peu près équivalente contre toutes les souches connues jusqu’à présent. Si vous diminuez les doses, vous commencez à voir apparaitre des différences qui sont liées à l’antigène que vous avez injecté. »
Et les rappels permettent de maintenir une immunité élevée. « On ne peut pas prédire les scénarios futurs, mais ce qui est relativement clair en tout cas pour les plus populations plus fragiles, le rappel – la réimmunisation – peut-être un moyen de garder une immunité élevée contre des virus relativement différents y compris ceux qui ne sont pas dans le vaccin. Et de ce point de vue-là, on a un certain nombre de certitudes concernant les vaccins qu’on utilise jusqu’à présent. On sait que ça marche. Est-ce qu’on aura quelque chose de franchement mieux en remplaçant les souches par d’autres souches ? Pour l’instant il n’y a pas d’évidence, mais il y aura dans les prochains mois des résultats d’études cliniques qui compareront les vaccins avec la souche Wuhan avec des vaccins utilisant d’autres souches[1]» conclut Xavier de Lamballerie.
Sans oublier comme le rappelle Jean-Daniel Lelièvre que d’autres mécanismes entrent en jeu dans la protection contre les formes les plus sévères, notamment chez les plus jeunes, comme la réponse cellulaire T, dont Eric Tartour explique qu’elle semble conservée à travers les variantsà plus de 80%.
L’approfondissement des connaissances sur les vaccins disponibles, la surveillance de la persistance immunitaire dans les différentes populations, en particulier les populations à risque, ainsi que la surveillance des variants (émergence ou non de nouveaux variants vraiment différents) permettront d’adapter au mieux les stratégies vaccinales avec une pathologie qui risque de devenir saisonnière comme c’est le cas de la grippe.
[1] Les résultats de l’étude Coviboost traitent justement de cette question pour le vaccin Sanofi-Pasteur/GSK